Fatigue

Quatrième semaine - p.4

Je me sens aussi démunie devant l'avenir que si j'avais seize ans : je suis seule, je ne peux pas me permettre des folies sur le plan financier, je ne sais pas ce que je vais faire, je ne sais pas ce que je veux faire. Le monde me semble bouché. Quand je pense que j'ai cinq mois de temps libre devant moi, je me demande ce que je veux en faire… mais à part me reposer, je ne peux pas en faire grand'chose.
Je réfléchis, pourtant, pour me souvenir des pays que j'ai toujours eu envie de visiter. Fantasmer ne mange pas de pain. Et il y en a beaucoup : la Jordanie, le désert du Sahara, le Grand Canyon pour ce qui est des lieux. L'Asie, pour ce qui est des humains. L'Egypte, pour ce qui est des vieilles pierres. La région de Vancouver pour ce qui est du dépaysement et de la diversité. J'ai toujours rêvé de voyager, hors des sentiers battus, visiter, rencontrer des gens, leur culture, m'ouvrir l'esprit… mais seule, sans vrai budget et surtout sans énergie, ce ne serait qu'une fuite en avant suicidaire. Je dois donc oublier. Faire un trait. Attendre une meilleure forme, à tout le moins.
Heureusement, j'ai pas mal d'ami(e)s à l'étranger. Je suis attendue à Paris, à Brighton, au nord des Pays-Bas, en Suisse, en Italie, en Espagne et sur un voilier ici en mer du Nord… Je ne sais seulement pas dans quel état d'énergie je serai, ni quand. Encore une fois, c'est difficile de m'organiser si je ne sais rien d'avance.
L'autre jour, en me balladant avec Tania dans un petit parc du centre ville, nous avons mis deux heures à goûter à tous les parfums et à toutes les merveilles d'un printemps sec et ensoleillé : toutes les plantes étaient en fleurs, les oiseaux construisaient leurs nids, les enfants jouaient sous les yeux attendris des grands-mères… Deux heures pour faire ce que d'autres font en un quart d'heure : promener le chien. J'ai été étonnée à quel point cette sortie m'avait régénérée et je me suis dit que, peut-être, ce serait seulement ça, ma convalescence : des petits plaisirs, savourés là où d'autres les dévorent, tout près de chez soi.
Parfois je me déteste parce que je voudrais une vie grandiose, que je n'ai pas les moyens de m'offrir, et qui, d'ailleurs, ne me plairait peut-être pas non plus ? J'ai du mal à vivre à la simple grandeur de ma simple vie. Je voudrais explorer, découvrir, me sentir vivre, à la limite même, j'aimerais courir des risques. Bref, vous le découvrez comme je le découvre, je suis une romantique : comme convalescence, j'aimerais tenir le rôle féminin dans King-Kong. Mais pas au cinéma. Non, en vrai ! Question de se sentir vivre, avec un grand V !