Mon corps

Oui, il s’agit bien de lui, malheureusement. J’aurais préféré que "cela n’arrive qu’aux autres ".
Je m’y fais lentement, et vraiment à contre-cœur, que c’est bien de moi qu’il s’agit. Que cette malédiction me soit tombée sur la tête, à moi...
Tellement à contrecoeur, même, que je me rends compte en me relisant qu'il m'arrive de dire "vous" au lieu de "je " pour projeter cette désagréable réalité hors de moi.
Car bon : vous allez perdre vos cheveux… ben oui…, on vous enlève un sein… à la vie à la mort, bon, on accepte…
Mais vous ne savez pas encore que, de cure en cure, donc, grosso modo, de mois en mois, vous en ferez de moins en moins ; manque d’énergie, nausées, effets secondaires obligent… et que votre corps, pour peu que vous soyez habituellement active, dynamique, un brin sportive, va devenir une inquiétude supplémentaire. Vous le reconnaissez de moins en moins. Il vous obéit de moins en moins. Il se bourrelète, d’autant plus qu’avec cette chimiothérapie qui vous force à vous ménopauser précocément, vous avez tendance à grossir et à vieillir. Vous commencez à vous essouffler pour rien. Tout vous paraît un monde.

Peu de temps avant de savoir que j'avais le cancer, je voyais ma mère ou, pire, ma grand-mère à la place de mon image dans le miroir. Inutile de dire que cela ne me plaisait pas…
En revenant de l’hôpital, après l’opération, je me retrouvais à nouveau moi-même.
Maintenant, c'est toujours moi, en plus fatiguée, en plus ridée, sans cheveux, sans cils, et sans sourcils, avec ces grands cernes, parfois plus accentués encore, en fonction de l’épuisement. A certains moments, je pense être laide à faire peur, au point de pouvoir être engagée pour jouer dans la "Famille Adams ". Les médecins m’affirment que je suis guérie depuis l’ablation du sein et des ganglions, et mon miroir en est témoin ! Même vieillie par les effets de la chimio (j’espère encore paraître mon âge réel dans quelques temps), je ne vois plus ma grand-mère à ma place dans le miroir !
Ceci dit, la dernière fois que j’ai vu Petra, elle paraissait comme elle a toujours paru, saine et son âge. Elle a été ma "grande sœur " dans cette pénible aventure et de la voir en forme actuellement me donne beaucoup de courage. Depuis qu’elle en est de nouveau capable, pour retrouver son corps et se sentir bien avec elle-même, elle pratique plusieurs sports.
Je reprendrai donc mes rollers dès que possible. Pour le reste, je verrai ce qui me conviendra.

Donc, de cure en cure, le corps devient plus flasque, plus mou…
Je remercie au passage mes kinés qui veillent au meilleur fonctionnement corporel de la vieille bête que je deviens, ou plutôt que je ne deviendrai pas grâce à leur souffle de Vie sur mon Corps. Voilà plusieurs mois que je vis dans mon lit, ou du lit au fauteuil comme dit Brel dans sa chanson sur "les Vieux ", ou au ralenti dans une vie réduite. Rien d’exaltant pour un corps de femme de quarante sept ans ! Pas de quoi le muscler, lui donner la beauté de la vitalité24.
Mon corps a été en péril de vie. Il me faut le réinvestir25, tel que la chirurgie me l’a rendu et tel qu’il devient suite aux autres thérapies, malgré la mutilation, les bourrelets et les affaissements.
Pour moi, cette "mutilation" n’est pas vraiment vécue comme telle mais plutôt comme un délestage qui m'a sauvé la vie. Grâce à cet abandon d'un sein envahi, je peux encore assurer de ma présence mes enfants et ma marraine si âgée.