Rythm' and blues

Pour que le scénario soit cohérent, je voudrais mettre au clair les rythmes et tempi qui scandent cette balade du cancer et du malade. Car tensions nerveuses, inquiétudes, chutes de force, haine de la vie, désir de vaincre se succèdent et parfois se chevauchent dans le temps. Et le contraste entre la nécessaire rapidité de la première intervention et la pénible longueur des traitements s'inscrit dans le paradoxe de la lutte pour la survie.
Ce temps qui est, si justement, le signe de la vie contre l’éternité de la mort.
Et, en lui-même, source d’inquiétude et de faiblesse. J’ai raconté comme l’incertitude des horaires pouvait me stresser, m’inquiéter, alors que toutes les certitudes m’apparaissent comme des jalons et m’aident à accepter ma maladie, les examens ou les différentes thérapies, aussi durs à vivre soient-ils.

Je parle ici du rythme des jours qui passent, de seconde en seconde, entre la première inquiétude, le premier doute et le diagnostic. Temps mille fois trop long, qui, même s’il pouvait être réduit à rien, paraîtrait encore trop long. Trop long parce que nous aurions préféré passer ailleurs que dans la maladie, comme s’il pouvait exister une "Carte du Tendre " de la vie, indiquant un chemin pour éviter les malheurs. Trop long, parce que toute intervention du temps permet les fantasmes, et que, dans ces cas-là, les fantasmes sont nécessairement morbides. Le temps de l’inquiétude est insupportable.
Ainsi le temps mortifère compris entre ma colère de sein et la première visite. Ou celui du diagnostic lui-même, éternellement long, même s’il ne dura que deux heures-horloge, au grand maximum.

Temps mortifère à coup sûr, si le délai avant le premier diagnostic s'avère reporté parce que le planning de votre médecin préféré est saturé…
Pour ma part, j’ai vérifié avec ma gynéco hyper-compétente que je ne me trompais pas en faisant confiance à son assistante. Façon aussi d’être polie quant au changement de main. Mais elle me rassura et me confirma qu’elle-même préférait que je ne l’attende pas : elle avait trop sur la planche. Comme j’ai été opérée durant la "Semaine du cancer du sein ", elle passait plus de temps sur les plateaux de TV qu'à l’hôpital. S'occuper de la propagande de santé pour que les femmes se fassent soigner à temps est réellement une action prioritaire.

Evidemment, question tempo, la dernière semaine fut marquée par le stress pour tout boucler dans les temps. Mettre la maison et les papiers en ordre. Faire quelques achats. Remplir le frigo pour les jeunes qui resteront seuls à la maison pendant une semaine -finalement ce sera deux fois une semaine avec une semaine d'intervalle, puisque je serai opérée deux fois coup sur coup- vu que leur père "ne voit pas où est le problème" ( !). S’organiser pour avoir l’aide nécessaire "après"… Mettre la famille au courant, en leur rendant visite de préférence, parce que je pensais que ma bonne mine de départ pouvait les rassurer, d’une certaine façon.
Dix journées pleinement chargées, avec des listes mémo pour ne rien oublier.
Là, le temps a manqué, mais heureusement : j'avais tant à faire que j'en oubliais presque l'angoisse.
Je me souviens aussi de ma rogne à la mutuelle, où les employés zélés ne voulaient pas me donner les documents nécessaires pour faire avancer mon dossier, vu que je n’avais pas l’air malade. Et la surprise de voir la gentillesse de mes ex-collègues de travail, prévenantes et très présentes, bien que je fusse seulement intérimaire et que j’aie interrompu mes activités ex-abrupto.