Rythm' and blues

Parfois, le temps peut aussi sembler long pour d’autres raisons et la vie à l’hôpital n’est pas un lit de roses pour tout le monde. Les mélanges de culture posent parfois des problèmes de stress énormes à certains patients comme en témoigne l'histoire d'Irène, dont l’état général déclinait dangereusement, sans raison apparente. A la fréquenter un peu le jour de la "ligne verte", je m'étais aperçue de ses phobies : tout ce qu'elle raconte tourne autour de la peur du noir, des ascenseurs, de la foule, de la solitude, des étrangers… Elle partageait la chambre d’une jeune arabe, dont le mari est décédé d’un malaise cardiaque durant son opération à elle12, quelques jours auparavant. Cette jeune veuve préparait donc les obsèques de son mari dans leur pays natal, y compris le transfert du corps et l’achat des moutons à sacrifier, depuis son lit d’hôpital. Dans la chambre d’Irène, donc. Inutile de dire que cette situation particulière et particulièrement morbide ne convenait pas à Irène, vu ses troubles psychologiques, et pour qui son cancer était déjà synonyme de mort et de panique générale.
Irène allait donc de plus en plus mal, sans que le médecin ou les infirmières puissent comprendre. Or, elle ne pouvait en parler au personnel, vu qu’elle est paniquée devant tout étranger et que les infirmières sont presque toutes immigrées. Heureusement pour elle, elle s’en est ouverte à moi et j’ai pu en toucher un mot avec l’infirmière-chef iranienne, si bien qu'Irène a fini par "guérir" dans la chambre d’une compatriote.

J’admire ces magiciennes des coulisses comme des soins réels, malgré tout à l’écoute des malades, réorganisant les chambres si nécessaire, comme pour Irène, prenant les rendez-vous pour les examens complémentaires en consultation, gérant l’administration du service. Leur sourire, la finesse de leur écoute, leur présence, autant que les soins et les actes techniques, participent de la remise sur pied des malades. "Le moral ", comme on dit. Combien de fois ai-je entendu : "l’important, c’est de garder le moral" ! ! ! Et cette source de moral, heureusement, malgré leurs difficiles conditions de travail, j'ai aussi pu la trouver chez les soignants : infirmières, kinés, psy… car il ne faut pas se leurrer, la vraie "source" de moral se trouve dans l'humanité des personnes qui nous entourent, pas ailleurs.
J'ai rencontré une patiente - que je reverrai à la radiothérapie- qui préfère (pourquoi ?) ne parler de son cancer à personne. Heureusement pour ces gens que les infirmières ont cette attention affectueuse à donner, ne fut-ce que pendant les trop courts moments où elles peuvent s’occuper de nous au milieu des soins aux autres et toutes les tâches qui leur incombent. Je voudrais tellement encourager ces personnes à avoir au moins un(e) confident(e). Et ce mot de "confident" pèse sous ma plume d'un poids spécial car il est vraiment question de faire confiance. Confiance en l'Humain que nous sommes, en la Vie que nous portons, dans tous ces humains vivants autour de nous… Et si nous ne pouvons nous en remettre à plusieurs personnes, qu'au moins l'une d'entre elles soit garante de la Vie qui continue en nous, de nos espérances.