Et après la parenthèse ?

Depuis ma cinquième chimio, je m'autorise à entr'apercevoir ma vie "après". Elle me hante depuis le début, mais je m'oblige à essayer de me contenter du jour-le-jour, pour ne pas m'emballer, me déprimer, gaspiller mes énergies et mes espoirs.
Ce que j'en sais, c'est que je ne la veux pas "comme avant". Je n'ai pas traversé ce long tunnel pour me retrouver au même point. Certainement pas.
Mais, cette seule certitude posée, que faire de toutes les incertitudes ?
Dis-moi, qu'est-ce-que je veux ?
Cette question, j'ai aidé plusieurs personnes à la réfléchir, à la résoudre… et maintenant que j'y suis confrontée personnellement, je me sens toute seule pour y répondre.
Déjà, j'aurai un trou d'un an dans mon CV. Que vais-je faire d'un trou pareil ?
En plus, j'aurai presque quarante huit ans, avec tout ça, quand je reprendrai le boulot… que pense un employeur quand vous voulez vous réorienter à cet âge "avancé" ? Cela ne sera donc pas facile, j'en suis bien consciente. J'ai envie de faire la liste de mes "acquis", mais ils sont épars, allant de ma formation de psychologue à mes fonctions administratives, avec un passage comme chef d'entreprise qui n'a jamais gagné un franc et de créatrice de projet qui fonctionne bien mais n'est pas rentable.
Evidemment, si je n'arrive pas à changer de cap, je pourrai toujours reprendre la voie professionnelle que j'ai abandonnée, mais je n'y tiens pas. J'en pleurerais de dépit, je crois. Je n'ai pas fait tous ces efforts pour sauver ma vie et reprendre des intérims ici, là et ailleurs, comme assistante de direction.
Je me suis battue pour vivre, contre le temps, contre le cancer, contre la chimio et contre tout, et j'ai gagné. Maintenant, je veux aussi gagner ma vie autrement, sur le plan professionnel, sur le plan social, sur le plan relationnel et affectif. Parfois, je me dis que, peut-être, la solution, je suis occupée à la tricoter maintenant, en relatant mon expérience… mais est-ce que je pourrais en vivre ? Je ne suis pas Laurence Pernoud et ce n'est pas "J'attends un enfant" que j'écris !
Concrètement, sachant que nous sommes fin mars et que la reprise du travail est programmée par les médecins à fin septembre, il me reste six mois pour résoudre toutes ces questions. Je sais que ce temps-là passera trop vite. Mais je sais aussi que je dois faire confiance au destin. Il me dira où est ma route. Il est trop tôt pour que je m'emballe sur un projet qui ne se fera que dans six mois. Je ne suis pas du tout prête. Et, au pire, quand je reprendrai le travail, je reprendrai des intérims. Ce n'était pas si mal après tout, puisque j'ai essentiellement fait cela toute ma vie.
Parfois, je rêve que j'aurais la chance d'enquêter et de mener des recherches sur cette épouvantable fatigue du cancéreux et du chimioke, parce que d'être passée par-là m'a motivée à essayer de comprendre, de faire connaître. J'ai d'ailleurs commencé un tableau, comme celui de Mendeleev, à compléter, sur les différents niveaux de fatigue et leur concordance par rapport à certains vécus, de la normalité à la chimiothérapie, incluant également certaines maladies mentales ou cardiaques.
La fatigue est un processus normal jusqu'à un certain point, elle procède d'ailleurs de la construction du bébé, qui ne s'éveille que pour téter, et se retrouve encore comme symptôme de l'âge dans la vieillesse. Mais, au-delà d'un certain seuil, elle est partie intrinsèque d'une pathologie. Peut-être bénéfique, d'ailleurs, parce que si un cardiaque pouvait faire fi de sa fatigue, il se dépenserait de façon dangereuse. Peut-être en est-il de même pour le chimioke sous FEC, puisque celui-ci est cardio-toxique. J'ai d'ailleurs dit, plus haut, que, durant ma période immuno-déficiente, cette fatigue infernale me protégeait de contacts avec l'extérieur en me confinant dans mon lit, ce qui m'a permis de passer outre à trois pics de grippe repris dans les courbes épidémiologiques. A mes yeux, cette fatigue extrême était une protection nécessaire. Si j'avais eu plus de force, rien ne m'aurait empêchée de faire des emplettes dans une grande surface, de prendre un moyen de transport en commun ou de me promener dans la foule d'une rue commerçante.