Mon corps

Sensations décuplées. - p.1

Et ce n’est pas tout. De façon presque continue, durant toute la chimiothérapie, et en particulier les jours plus difficiles, les sensations sont décuplées. Surtout l’ouïe et l’odorat.
Mes fils n'ont pas toujours compris quand je faisais des crises de nerfs pour des portes "claquées" ou que je sature au-delà d'un certain nombre de personnes dans la maison. Ils font pourtant attention à ne pas me déranger ! Mais j’entends les conversations dans la rue et le téléphone sonner chez les voisins…
J’ai été très heureuse que les anciens locataires de la maison voisine s'en aillent parce que leur bébé avait sa chambre à côté de la mienne et que ses cris m’horripilaient. Mais les nouveaux locataires ont décidé de faire des travaux pour emménager, évidemment…
La nuit, j’entends passer les voitures sur l’autoroute, à environ dix kilomètres, ce qui est "anormal".
Et le moindre avion, le moindre hélico me paraît raser le toit de la maison, tellement le son est assourdissant et proche de mon lit.
Donner un rapport volumique me paraît difficile, tellement l'amplification dépasse l'imagination. Mon meilleur exemple, je l'ai vécu alors que j'étais clouée au lit, en immuno-déficience. Je prenais les "tic… tic… tic…" de dilatation du radiateur (auxquels je n'ai jamais fait attention de ma vie) pour la cloche de l'église voisine. Comme elle carillonnait sans fin, j'ai appelé mes fils. Et ils m'ont aidée à identifier ce vacarme incessant. Au début, bien sûr, ils m'ont prise pour une folle puisque aucune cloche ne sonnait, et comme j'insistais "si, écoutez, BAM ! … BAM !", ils ont repéré que mes BAM correspondaient aux bruits de dilatation du radiateur de la chambre…
A force d'entendre ce bruit répétitif et à haute résonnance, je devenais enragée, raison pour laquelle j'ai appelé mes fils à la rescousse. De savoir qu'il ne s'agissait que du radiateur m'aida à l'accepter.
Sinon, pour les autres bruits, voitures, avions, sonneries, je ne peux que rester étendue et attendre, patiemment, que tout cela passe, les nerfs à vif.

Idem pour les odeurs.
En pire, puisque même ma propre odeur me gêne. "Mon" odeur habituelle a disparu sous celle de la chimio que je rejette par tous les pores (tant mieux, j'élimine !). Heureusement, j’ai reçu des "savons qui sentent bon ", je bois de la lavande et je consomme des aliments à la vanille… Après quelques jours, ce problème d’odeur personnelle devient moins obnubilant.
Petra m’avait prévenue : changements fréquents de pyjamas et de draps. Et très certainement la veille d'une nouvelle cure, par anticipation.
Inutile de dire que les odeurs d’animaux, de nourriture ou toutes celles qui paraissent insupportables aux gens "normaux"… me soulèvent le cœur.
Je suppose que la lutte contre l'intoxication accroît les sensations. Genre de mécanisme d'autodéfense qui, vu notre état de faiblesse général, nous permettrait d'être averti(e)s précocément d'un danger ? Sorte d'instinct animal qui resurgirait ? Dans la mesure où notre vie d'Occidentaux ne comporte plus beaucoup de risques, en tout cas pas comme pour les animaux sauvages affaiblis qui doivent être avertis d'un danger des kilomètres à l'avance, cette prévention instinctive paraît plus dérangeante qu'opportune. D'autant que les odeurs, à part les arbres en fleur du printemps, provoquent plutôt des nausées...
Je pense essentiel pour l'entourage d'essayer de comprendre ces modifications des sensations et à quel point elles sont amplifiées, pour éviter de répandre des odeurs, pour penser à aérer autant que possible et pour éviter de faire des bruits inutiles. Savoir tout cela, pour celui qui vit avec un chimioke ou lui rend visite, permet aussi de comprendre l'irritabilité, voire l'agressivité instinctive qui accompagne tous ces phénomènes.
Nous voilà comme des lionnes menacées et si nous en avions la force, nous rugirions, pour écarter toutes ces "nuisances" et faire entendre comme elles nous importunent.
A vous, Metro Goldwyn Meyer !