Fatigue

Plus qu'une semaine et un jour. - p.1

J'ai tant envie d'être le 22 avril. J'aurai passé la vie entre parenthèses depuis le début septembre. Presque huit mois. Et je suis étonnée de me réveiller un peu engourdie, pataude, la bouche pâteuse !

Je jubile… j'ai pu passer le cap. Avec mon ordonnance en poche, j'ai été m'acheter ma prothèse. J'ai de nouveau mon profil symétrique et féminin. Je me sens tellement mieux.
La dame qui me l'a vendue était d'une gentillesse tout à fait comme-il-faut. Pour moi, c'était d'autant plus important que je n'ai quasiment jamais porté de soutien : durant ma prime adolescence chez ma mère, et le jour de mon mariage, voilà vingt deux ans ! Prévenante, elle m'a dit de ne pas m'effrayer en sortant la masse de latex rose de sa boîte. C'est vrai que cela ressemble à un gros jambon mou un peu flasque, et choquant.
Mais le palper à travers mes vêtements me donne l'impression d'un vrai. Un homme pourrait s'appuyer sur ma poitrine, il ne saurait pas dire quel est le côté qui a posé problème. Je dis un homme, mais un enfant non plus. Je veux dire par là : c'est à la fois aussi consistant et malléable qu'un vrai sein.
Me voilà donc rembourrée où il faut comme il faut, à nouveau.
Je ne savais pas à quel point, pour moi, c'était nécessaire. Je crois que c'est pour cela que j'étais mal avec moi-même, ces derniers temps. C'est fou comme nous devons toujours passer par des crises pour progresser…
Je suis donc mieux dans ma peau aujourd'hui qu'hier. Et tout ça pour un morceau de latex rose !
Je suis étonnée du poids, ce soir, en enlevant ce nouveau soutien -qui n'a rien de sexy : il ressemble plutôt à un soutien d'allaitement.
J'ai demandé les méthodes d'entretien, etc… Et les conditions : le soutien c'est moi qui l'achète, la prothèse m'est offerte par la Sécurité Sociale. Merci la Sécu.
Bref, je suis parée et heureuse. A moi le printemps, l'été, les vêtements légers et l'élégance !
En rentrant à la maison, mon enthousiasme retombe comme un soufflé en percevant l'ambiance morbide qui y régne. La tante maternelle d'Agnès, la petite amie de mon fils Jérome, a subi une biopsie pendant que j'étais en ville à m'acheter ce sein en latex. Ce soir, ils sauront si c'est le cancer ou non. J'en ai mal dormi. Pas de chance : c'est cancéreux.