Radiothérapie

Peur - p.1

Mon corps a été transformé en espace militaire, où le champ de manœuvres est repéré en croix et traits à l'encre indélébile. Ils vont m'envoyer des bombes au cobalt pendant cinq semaines. Je ne peux pas dire que je me sente blindée : j'ai franchement peur. Je crois même plus peur que de la chimio, que je considérais plus comme une fatalité à passer, et par rapport à laquelle je pouvais me protéger. Ici, j'ai peur des séquelles, de ne pas pouvoir me défendre contre les machines. Crainte sans doute aussi irrationnelle que ma sacrée peur des seringues et autres piqures, je n'y peux rien.
Pour moi, ce seront cinq semaines de cinq jours consécutifs puisque j'ai congé les week-end et jours fériés. J'ai peur de la radioactivité, j'ai peur d'être brûlée, j'ai peur que l'appareil n'abîme d'autres organes. Mon cœur et ma tyroïde sont en deuxième ligne !

En plus, jusqu'hier, je ne connaissais pas mon horaire ce qui me paraît peu respectueux de la vie privée des gens : la veille seulement, vous apprenez ce qu'il adviendra de vos horaires durant les cinq semaines suivantes ! Notre devoir est de nous soigner et d'être "patients". Musique : clairons militaires.
Je suppose qu'à l'instar des chômeurs, nous sommes supposé(e)s "n'avoir que ça à faire".
Pourtant, "quand on n'a que ça à faire", pouvoir s'organiser et participer un tant soit peu à la vie active permet de pas se déstructurer par rapport au temps, et le moral ou le sentiment de soi en dépendent. Donc le potentiel de vie.
De plus, tout nous demande plus de temps, puisque, malade ou chimioke, maintenant je deviens d'ailleurs "radioke", nous manquons d'énergie et de concentration. Et comme nous avons dû laisser beaucoup d'affaires moins urgentes en attente, maintenant, nous aimerions pouvoir disposer "d'un peu de temps à soi" pour "mettre de l'ordre dans ses papiers". D'autant qu'avec l'incertitude face à la Vie, cela peut être devenu indispensable ou, tout simplement, plus rassurant de savoir que tout est en ordre, au cas où le grand tourbillon nous emporterait.
Nous devrions donc, en quelque sorte, pouvoir disposer de notre temps, comme chacun de bien portant, même si une de nos activités principales est de fréquenter les hôpitaux.
J'ai déjà rencontré ma radiothérapeute lors d'un rendez-vous assez banal au cours de ma chimio : auscultation, questions et réponses. Elle a un tempéramment nerveux. Je préfère les gens calmes… mais bon. Elle répond à mes questions et me rassure : "après ce que je viens de passer, la radiothérapie, c'est presque des vacances !" Son exagération sent le mensonge. J'ai peur, je renacle.
Je voudrais trouver une échappatoire, comme quand j'étais jeune, que j'espérais pouvoir me défiler d'une interro de math.