Fatigue

Troisième semaine. - p.1

Plus que deux. J'ai dépassé la moitié. Ça passe encore vite, tant mieux.
Depuis un jour ou deux, je commence à organiser mon agenda post-cures : rendez-vous chez ma sénologue (contrôle) et vacances. J'ai déjà téléphoné à un ami pour la voile. A une dame pour réserver un bungalow à la campagne en France… J'ai bien l'intention de prendre un peu de bon temps.

Aujourd'hui, la zone irradiée commence à se manifester : je suis rouge, ça pince, ça chatouille… Heureusement, nous sommes à la veille du week-end : deux jours de repos feront du bien à ma peau. Mais je n'ose pas me mettre dans le magnifique soleil de canicule que nous avons reçu pour nos Pâques cette année et qui perdure depuis plus d'une semaine. Je ne me souviens pas d'un printemps aussi ensoleillé depuis longtemps. Malheureusement, je n'ai pas pu en profiter comme je le souhaitais : la chaleur me fatigue, tout me fatigue. Je me traîne. J'ai un mauvais goût (celui de la chimio, je crois) dans la bouche. J'en ai marre. J'ai envie de tout envoyer promener.
Je passe donc un samedi un peu "mou" avec ma marraine. Prendre un chocolat chaud mais sans conviction. Et le dimanche, entre lit et fauteuil, surtout l'après-midi, siestes et lecture. Comme je devais passer par la bibliothèque pour renouveler mon choix de livres ce dimanche, par bonheur, j'ai rencontré une des radiokes de l'hôpital devant l'étal de plantes du marché, face à la bibliothèque. Nous avons pris un café ensemble sur la place. La journée n'était pas complètement perdue. Mais l'ombre de demain planait déjà. Ma peau rougie me pique. Je me protège des rayons du soleil. Elle a plutôt un sentiment de froid et ne se sépare pas de son gros manteau et de son écharpe. Elle n'a pas eu de chimiothérapie et a été opérée récemment. Elle perd encore ses cheveux des suites de l'anesthésie, mais elle a un superbe chignon, elle. Parmi les personnes qui se rencontrent à la même heure, elle est la seule à avoir des cheveux et cela la perturbe d'être différente des autres, même si elle est plus chanceuse49 !
Question cheveux, je peux vous annoncer avec fierté qu'ils repoussent. Très lentement. Trop lentement. Je vais les voir pousser et retomber cinq fois avant qu'ils ne résistent. Autant d'espoirs déçus, de désespoirs et, finalement, d'incrédulité quand arrive enfin "la bonne" repousse. Comme je les avais très clairs et très fins, ils semblent invisibles. Depuis une semaine je vois une vague brume d'été flotter sur mon cuir chevelu. Actuellement cela se précise… mais les côtés, au-dessus des oreilles, restent encore chauves.
Je ne suis pas seule dans mon cas : dans la salle d'attente de la radiothérapie, je rencontre quotidiennement une dame qui se fait autant de soucis que moi. Attendre et espérer.
Pour cela les brunes et les noires ont plus de chance : les résultats sont plus vite probants.
Je suis étonnée de tout ce que nous pouvons vivre en traversant ces aventures de cancer, chimio, radio et hormonothérapie. Quoique les médecins en disent, même si nous avons eu des parcours différents, d'une certaine façon, nous pouvons superposer l'ensemble des expériences. Dans notre groupe de salle d'attente, nous avons toutes les trois eu un FEC. Les unes ont mieux supporté la première ou la troisième chimio et pas la deuxième etc, mais, en finale, nous avons toutes traversé les mêmes souffrances, les mêmes angoisses, les mêmes tristesses, les mêmes dégoûts…, l'une ou l'autre fois. Celle qui en a le plus bavé, c'est la malheureuse à qui les infirmières ont oublié de donner les médicaments anti-nauséeux pour les jours suivants. Sachant que la chimio rendait très malade, elle a supporté son sort sans broncher et connu ces horribles nausées et vomissements improductifs mais si douloureux pendant deux jours complets, alors que cela me paraissait déjà l'enfer de les subir quelques heures durant, le premier soir.
Je suis aussi touchée par notre intimité et notre respect les unes pour les autres. Ce groupe de parole improvisé nous permet de nous resituer, entre nous, par rapport à tout ce vécu et par rapport aussi à nos vies après. Nous en sommes toutes au même stade environ, nous terminerons la radiothérapie dans les mêmes cinq jours d'intervalle.
Celle qui comptait recommencer à travailler tout de suite est obligée de postposer : son état ne le lui permet pas encore, son médecin le lui a fortement déconseillé. Les autres sont pensionnées. Pour ma part, le fait que cette dame ne reprenne pas encore le travail me rassure. J'ai compté que j'aurais besoin de "bon temps" pour me remettre de mes émotions et de mes thérapies. Une sorte de calcul de balance d'énergie entre le "mauvais temps" et le "bon temps". Je me sens parfois culpabilisée par rapport à cette optique. Mais je suis assez heureuse de mon calcul, parce que reporter sans cesse son projet de retravailler ne doit pas être confortable non plus : l'entourage doit finir par s'inquiéter de ces reports successifs.
Mon chimiothérapeute m'a dit de compter un an après la dernière opération. C'était le calcul que j'avais également fait dans ma tête. Ouf ! Je sais encore intuitivement calculer mes forces et le temps de recouvrer une énergie suffisante pour qu'elle soit réellement productive. Inutile de se relancer dans le travail pour tomber en dépression, non ? En plus, pour moi, à la différence de cette dame qui doit reprendre sa place dans la société où elle travaille depuis plusieurs années, moi, je vais devoir, soit changer mon orientation, soit reprendre l'intérim, ce qui me paraît plus difficile, d'une certaine façon. Je verrai bien. A chaque jour suffit sa peine.