Radiothérapie

Simulation. - p.1

Simulation.
Le "jeu" commence par une simulation. Démo. Game over… Je regrette de n'avoir qu'une vie, réelle, et pas trente six, virtuelles, où les sensations n'existent pas…
Me voici donc à moitié-nue au milieu d'une salle immense, sur une table d'examen, sous une lourde machine suspendue, où on vous place la tête dans une cupule, on vous attache le bras (gauche dans mon cas) en essayant que la position ne soit pas trop inconfortable. Cela pourrait figurer dans le scénario d'un film d'horreur : la salle est trop grande, impersonnelle, vous êtes seule, il fait froid et cela dure longtemps. Je suis super stressée…
Je ne sais pas si cela vous a déjà frappé, mais chaque spécialité médicale a ses particularités et les caractéristiques psychologiques de ses praticiens. Ici, les médecins et infirmières ressemblent plus à des androïdes qu'à des humains, plus absorbés qu'ils sont par le repérage technique que par ma personne. Heureusement, au milieu de tous ces personnages, une dame (apparemment un médecin plus compétent, qui voit d'avance les dimensions recherchées, etc.) particulièrement gentille dans la mesure où elle a de la considération pour le faible humain que je suis, pratique même légèrement l'humour et trouve normal, vers la fin de la séance, de me prévenir que ce sera bientôt fini… Parce que les autres, pardon ! ! ! Même ce médecin, que j'avais déjà consultée, qui ne me salue même pas alors qu'elle vient vérifier mes collections42 sous mon bras. Moi, je suis couchée, et, apparemment, je compte autant que le mobilier dans la pièce. On photographierait des vases, ce serait pareil : qui salue le vase, lui parle, le réconforte, lui demande s'il a chaud ou froid, s'il se sent écartelé ou s'il se sent bien ?
J'étais particulièrement impressionnée, je veux dire j'étais particulièrement mal à l'aise, au milieu des machines qui pendaient au-dessus de moi, dans cette ambiance particulière, avec cet assistant néophyte qui s'escrimait avec les boutons de la télécommande, essayant de monter la table, d'agrandir le champ de l'appareil lumineux, avec un taux de réussite aléatoire... J'avais une frousse bleue qu'il fût responsable de ma thérapie, parce qu'il semble avoir encore beaucoup à apprendre !
Ils (à part ce néophyte, je ne vois que des femmes !) ont calculé et établi des champs, des angles, des limites et me les ont dessinés sur le corps avec des feutres indélébiles. Puis ils ont protégé ces marques avec des plastiques autocollants qui me chatouillent déjà.
Ils ont ensuite pris les repères de la table, de la cupule, du support du bras sur une feuille préencodée.
Et ils ont pris une photo polaroïd du chef d'œuvre dessiné sur mon corps.
Puis ils ont encore dessiné des repères avec une sorte de rapporteur géant, en faisant le contour de mon corps, et en indiquant les limites, les champs sur un papier grandeur nature…
En principe, tout cela aurait dû me rassurer par les précautions techniques prises, qui étaient impressionnantes, mais cette redondance de garanties, dans un univers aussi froid, n'a fait qu'augmenter mon désarroi.
Ils étaient quatre à cinq, à tourner autour de moi, à énoncer des x = autant et des y = autant, puis à revoir leurs chiffres, à la hausse ou à la baisse, les uns notant, les autres mesurant ou bougeant les paramètres avec la télécommande. Jusqu'au moment où, sans mot dire, ils s'éloignaient tous, toujours sans m'adresser la parole, refermaient la porte avec soin, me laissant seule, dans le froid, avec toutes ces machines, le temps de prendre quelques clichés de scopie et de faire quelques vérifications. Et j'avais le sentiment d'être dans un mauvais film de suspense, abandonnée par les méchants sur une table de torture et que n'importe quoi d'effrayant pouvait m'arriver.
Puis ils revenaient tous les quatre, froids et silencieux, et reprenaient leur place, leurs chiffres et leurs axes… Etant donné l'ambiance, je vous dirais bien que je tiens la vedette dans un film d'espionnage scientifique des années soixante, et que je suis tombée aux mains des Soviétiques !
Je me répète, mais, heureusement que la présence de cette jeune femme médecin, plus humaine que les autres, m'encourage. Je crois que si je m'étais trouvée confrontée seulement à tous ces autres robots d'humains, j'aurais été capable de ne pas suivre ma cure de radiothérapie.
Ici aussi je touche du doigt la solitude du malade : ce serait tellement mieux de pouvoir faire confiance, de se sentir rassuré, reconnu, humain parmi les humains. La difficulté technique et le poids des responsabilités thérapeutiques semblent l'emporter sur le relationnel, au point d'en oublier de dire quelques mots, d'expliquer ce qui se passe, le temps que cela prendra et de vérifier si tout va bien… Guy Corneau, dans "La guérison du cœur"43, insiste sur le rôle décisif de la relation médecin-patient. Le livre est sorti récemment. Je crois qu'ils ne l'ont pas encore lu.