Fatigue

C'est fini ! - p.1

Je pensais que je serais toute à la fête, pour mon dernier jour. Champagne et tout…
Mais en quittant l'hôpital, j'ai pleuré. Inondée de pleurs. De souffrance, de fatigue, de tristesse, de peur devant ma "nouvelle" vie sans sein, avec l'expérience du cancer… De douleur aussi pour tous les autres qui sont encore dedans, qui y rentrent, qui vont en mourir comme la petite dame âgée qui se trouve maintenant aux soins palliatifs. J'ai voulu lui rendre une dernière visite, mais les infirmières prodiguaient des soins et je n'en voyais pas la fin. J'ai donc quitté l'hôpital sans la saluer. Je ne la reverrai sans doute jamais.
Je l'ai déjà dit, je voudrais qu'avec ma propre sortie des soucis, tout le monde en sorte aussi. Comme à la fin d'une guerre : tout le peuple en liesse. Ma guerre est finie, mais les cloches ne sonnent pas à tous les clochers et tout le monde ne hurle pas son bonheur : les tensions dans le monde, l'inquiétude causée par l'extrême droite aux élections françaises, les cancers des autres… Pierre Rapsat est mort du cancer le jour où je terminais ma radiothérapie… C'est pas fini la guerre, les guerres. Seulement mon petit combat à moi, celui que je vois quand je regarde par le petit bout de la lorgnette. Mais j'aime les grands horizons, et le petit bout de la lorgnette est une optique qui me déprime.
Toujours est-il que je n'ai pas invité tutti quanti à boire le champagne. Trop fatiguée, triste, lasse de tout. Déprimée.
Mais j'ai fait un tour à vélo ce jour-là, avec mon amie "Humour". Inquiète d'y arriver, au début, nous avons choisi un itinéraire touristique bien plat et je me suis rendue compte que je pourrais sans doute rapidement retrouver ma condition physique. Et de me promener sous les belles frondaisons de printemps m'a permis de m'affranchir de cet espèce de cocon hospitalique dans lequel je m'étais enfermée pour souffrir moins et me concentrer sur l'essentiel. La lumière s'est faite que, maintenant, il est temps de reprendre la vie de la vie, d'en profiter un peu, de s'y remettre. Ce tour à vélo m'a un peu lavée de mon isolement, de ma maladie. Comme un réveil douloureux, après un temps trop long.
Je m'attendais à de nombreux coups de téléphone. Mais ils furent discrets et prudents. Et c'est juste. J'ai eu la chance de faire un parcours sans faute, c'est à dire totalement compris dans les délais, sans changements de thérapeutiques, comme Petra… Mais certaines de mes collègues de salle d'attente, comme Leslie par exemple, et elles sont nombreuses, se sont vues octroyer des rabiots de un jour à une semaine. Les personnes qui m'ont demandé, timidement, si c'était cette semaine ou la suivante que je terminais avaient raison de se méfier de ne pas être inadéquatement optimistes.
La peau cède de part en part. Si j'étais un enfant, je hurlerais jour et nuit, de mal. Comme un très violent coup de soleil, cloques ouvertes qui suintent. Mais, depuis que la radiothérapie est finie, je peux mettre de la Flammazine. Ouf ! Au moins, quand j'ai mal, je peux me soigner. Et ça fait maaaal !