Mes relations avec "les autres"

Famille et proches. - p.2

Le dire à ma famille proche fut un véritable calvaire personnel, j’en ai déjà parlé.
Mes fils, jeunes adultes, ont finalement trouvé un équilibre par rapport à ce nouveau malheur qui nous frappait. Le plus jeune a eu d’autant plus de mal à se situer par rapport à mes espérances de vie qu’il a beaucoup changé d’école, et qu’à chaque fois il se trouvait dans la classe d’un enfant dont la mère mourait du cancer… Sa première impression, en me voyant terrassée par les deux opérations et la chimiothérapie, fut que je m'anéantissais et que mort s'en suivrait. Il m'évitait donc, ne me parlait plus, déjà en deuil de sa maman. L'autre s'est souvenu des soins que je lui avais prodigué quand il était souffrant et trouva normal de me donner le réconfort nécessaire par des visites à l'hôpital, quelques courses, des petits services quand j'appelais. Mais finalement, grâce à des discussions avec les aides-familiales, avec mes amis médecins, avec l’un ou l’autre, ils ont pu passer outre leurs angoisses et les ragots défaitistes de leurs copains. Et nous avons pu nous appuyer les uns sur les autres.

Outre les enfants, je devais aussi l'annoncer à mes oncles et tantes isolés, très âgés, qui dépendent de moi pour quelques courses ou, surtout, pour les visites que je leur fais. Du fait de ma maladie et des traitements étalés sur de longs mois, il était clair que ma disponibilité allait se réduire de beaucoup, sans parler de leur crainte pour ma vie. Ils étaient catastrophés. Ils se sont soudain sentis coupés de la bouffée d'air frais que je leur apportais en sortant quelques fois avec eux. Ma marraine en a ressenti un chagrin immense, qu'elle s'est bien gardée de faire peser sur moi.
Ma sœur fut prise de panique pour elle-même. J’étais particulièrement consciente que pour elle ce serait un problème vu qu’elle a maintenant un antécédant.
Tous les membres de la famille proche furent avertis par une petite visite où j’essayai de montrer mon optimisme et à quel point je partais avec "une bonne santé" apparente. Mais le choc fut magistral pour tout le monde, bien sûr. Et pour moi, ce fut une dure et triste épreuve de rentrer dans ce monde inconnu : celui de la crainte pour soi, de l'hôpital et de la question du pronostic.

Quant à mes parents, j’ai préféré qu’ils ne soient pas mis au courant, pour la raison que je n’ai jamais, même enfant, supporté la manière dont ils s’occupaient de moi malade. En plus, nous avons eu plusieurs différends, au moment du divorce surtout, qui m’ont fait penser qu’ils ont tendance à enfoncer les noyés sous l’eau plutôt qu'à les relever. Or, là, j’étais bien partie pour me noyer une fois de plus, dans une maladie qui demande la mise en branle de toutes les énergies… Je les ai donc volontairement mis au placard et toute la famille m’a protégée. Comme ils furent malgré tout mis au courant par une lourde indiscrétion, ils souffrirent bien sûr de leur mise à l’écart et essayèrent de s'imposer, car, avec eux, tout se ramène toujours à eux. Mais je ne pouvais me permettre de devoir m’occuper d’eux, de LEURS angoisses, de LEUR tristesse, de LEUR inquiétude à mon sujet, et de leur lourde angoisse de mort. Ils sont le nombril du monde.
Cette fois-ci, je ne m'occuperai que de moi-même. C'est une question de vie ou de mort. Pour de vrai. Pas seulement pour se plaindre. Pour ma part, je sais que le nombril du monde tourne très bien sur lui-même sans mon aide. J’ai toujours été un animal sauvage qui se cache le temps de se remettre de ses blessures. A chaque fois que j'ai souffert d'une maladie un peu plus grave, j’ai aimé me reposer en paix. Cette fois-ci encore. Et tous ceux qui étaient un peu proches de moi ont d’ailleurs respecté mon isolement : personne n’a téléphoné, de peur de déranger. C’était exactement l’attitude qui me convenait.
J’ajouterais encore, concernant les parents en général, qu’il doit être très difficile de faire une "chronique d’une mort annoncée ", la sienne, à ses propres parents. Même et surtout en cas de bonne entente. Je crois que cela m’aurait crevé le cœur de devoir leur annoncer cette horrible maladie. Je l'aurais vécu comme une trahison de ma part : il ne convient pas qu'un enfant parte avant ses parents, c'est trop douloureux.