Mes relations avec "les autres"

De la lourdeur des conventions… - p.1

Par contre, lorsque je suis au snack avec un de mes copains, il regarde autour de lui, d'un air gêné, quand je me mets à parler, à mon avis aussi discrètement que d'un autre sujet, de ma thérapie en cours ou de mes cheveux… Visiblement, parler de maladie dans un lieu de restauration ne convient pas. Mais, malheureusement, je n'ai actuellement pas beaucoup d'autres sujets de conversation. Et lui, il ne parle que de son divorce en cours, alors qu'il travaille, visite des musées, va à des concerts et au cinéma. Je veux dire par là qu'il a plusieurs sources d'inspiration pour faire la conversation et qu'il ne parle essentiellement que de cette préoccupation… Serait-ce moins inconvenant de parler de séparation que de cancer à table ou dans un lieu public ?
La maladie et la mort sont des événements naturels de la vie, tandis que le divorce n'a rien de naturel. A table, ce qui peut se digérer, ce n'est pas le naturel mais le culturel. Apparemment, de son point de vue, le divorce est culturel et la maladie naturelle. Mais à mon avis, nos cancers sont aussi culturels que nos divorces : il n'y en a jamais eu autant que dans notre société pourrie. Débat culturel s'il en est, aussi longtemps que ce n'est pas MON cancer et MES thérapies dans notre assiette ! Pourtant, je vous le demande : qui compose la société ? Moi, toi, nous, des individus qui souffrent, vivent, baisent… mais ne peuvent pas parler de cela à table.
A propos de la vie, de la mort et de la maladie, je pense qu'il est urgent de les réhabiliter dans notre culture. Non seulement je réclame le droit de vivre, d'être malade et de mourir, que diable !, mais je veux aussi que nous puissions vivre nos vies, vivre nos maladies et vivre notre mort le mieux possible, le plus sereinement possible, le plus "heureusement" possible. Nous devons pouvoir traverser toutes ces étapes avec la plus grande sérénité possible, comme la perte de notre première dent de lait ou de notre virginité. Ces expériences font un petit peu peur, un petit peu mal, mais on en sort grandi, victorieux de soi-même. Je continuerai donc à parler de l'évolution de ma vie, et donc, temporairement, de mes différentes thérapies, à table, même dans un lieu public. Tant pis pour les convenances, parce qu'elles étouffent nos droits fondamentaux.

Je dois dire que j’ai été assez heureusement surprise, et malheureusement aussi, de voir que tout le monde connaît au moins un cancéreux qui lui est proche et qui s’est plus ou moins bien tiré d’affaire. Cette banalisation, qui touche la population dans des quantités statistiques importantes, crée un climat de compassion dans lequel je me suis sentie respectée et encouragée.
A plusieurs reprises, j’ai pensé aux personnes atteintes du sida. A ces moments-là je me disais "heureusement que c'est un cancer et pas le sida… Comment aurais-je pu annoncer que j'avais le sida ? Comment ma famille aurait-elle réagi si j'avais eu le sida ?" Et je me dis que, dans ce cas, je dirais que j’ai le cancer (je dis ça, mais je ne sais pas mentir… comment aurais-je fait ?). Cela me paraît tellement triste et tellement injuste de ne pas oser, de ne pas pouvoir dire sa maladie, parce qu'elle porte la marque d'une certaine incurabilité et qu'elle est "sexuellement transmissible" ! Faudra-t-il attendre que l’épidémie de sida soit aussi répandue parmi nos proches que le cancer pour que les sidéens reçoivent compassion et respect ?
En voilà un beau sujet de conversation pour le snack ! ! ! "Tiens, tu sais, depuis que j'ai le sida, …"