Mes relations avec "les autres"

Incommunicabilité - p.1

Petra m’a parlé plusieurs fois de son sentiment de solitude durant sa chimiothérapie et j'essaie, au fil de mon récit, de mettre le doigt sur ces différentes manifestations ou sur ses différentes origines.
Et pour illustrer une certaine incommunicabilité, intrinsèque à la situation-même (c'est la faute à "pas de chance"), je parlerais de mon amie cardiologue, une grande amie depuis près de vingt ans, venue me rendre visite lors de ma première chimio, pour s'assurer que tout allait bien et prendre le relais de Tania. Elle a tourné tout un temps autour de mon lit en espérant trouver un remède pour soulager mes terribles nausées. Mais malgré toute sa compétence médicale, elle est aussi réanimateur, elle n'a rien trouvé qui puisse m'aider. Si bien qu'en finale, à court de moyens et devant l'heure tardive, elle est partie en s'excusant de devoir me laisser dans cet état et en me promettant de revenir le lendemain. Et j'ai été contente qu'elle s'en aille, parce que son agitation pour m'aider augmentait mon sentiment de nausées et m'empêchait de dormir. Bien que, malgré tout, j'aie espéré jusqu'au bout qu'elle puisse m'aider et sa présence m'était réconfortante.
Mon amie y incarne toute personne bienveillante au chevet du malade, mais, en plus, elle a des compétences médicales qui devraient la favoriser… Or, elle n'a rien pu pour moi. J'étais donc enfermée dans ma souffrance et mon mal-être infini, et, elle, dans le désarroi de son impuissance. Et très souvent, parce que nous sommes dans des mondes si différents, avec la nécessité absolue d'en passer par des traitements épouvantables pour éradiquer le cancer, l'entourage peut difficilement soulager le vécu du chimioke sur le plan physique. Reste la bienveillance, le calme et le silence des Japonais…


Ne nous faites plus attendre, s'il vous plaît.
J'ai déjà parlé du problème que représente l'attente pour celui qui se trouve sans résistance physique. Certains amis sont arrivés avec trois-quarts d'heure de retard. Après une demi-heure d'attente, j’étais déjà si épuisée que j'ai pensé annuler, mais ils étaient déjà en route et je n'ai pas pu les joindre par téléphone. Quand je leur ai expliqué, à leur arrivée, que je n’en pouvais plus, ils sont restés malgré tout, et même longtemps. Deux heures et demie.
Le problème supplémentaire, c'est qu'ils arrivaient les bras chargés de cadeaux. Ce sont des gens très généreux, et à mon avis, ils avaient décidé de faire une Bonne Action en s’occupant de moi cette après-midi-là. Et nous, malades, nous devons nous débrouiller pour rester polis et accueillants malgré tout ! Etre en chimiothérapie et recevoir des amis n'a rien à voir avec la courtoisie bourgeoise, je peux vous le confirmer.
Puisque nous n'avons qu'un faible potentiel énergétique, il est vite épuisé. Et mettre des gens à la porte ou dire "stop, je n'en peux plus" n'est possible qu'avec de l'ascendant, pas du fond du trou. N'attendez donc pas que le chimioke réagisse quand il n'en peut plus, vous lui en demandez trop.
Fiez-vous à vos sens, certains signes ne trompent pas : apathie progressive, cernes de plus en plus marqués, attitude et rythme de plus en plus mous. Faites-y attention, si vous ne voulez pas, qu'à votre départ, nous poussions un grand OUF ! de pouvoir refermer la porte sur vous.
Et exercez vos dons aussi ailleurs. Les chimiokes ne sont pas seuls à avoir le temps long en cas de retard. Ma tante de quatre vingt neuf ans se plaint qu’à son âge également, attendre est une "activité" éreintante.