Mes relations avec "les autres"

Accepter de l'aide, c'est accepter la vie - p.1

Pour survivre, apprenons à nous exprimer clairement. Indispensable. Demander une chaise, un lit, écourter une conversation ou annuler une invitation, autant de nouvelles façons de communiquer à oser au risque/bénéfice de sa santé. Moi qui n’ai jamais été capricieuse, j’ai l’impression que maintenant tout est permis : je veux, je ne veux pas… et les autres disent "amen ". Y compris tous ceux qui doivent être remis à leur place. La survie nous oblige à imposer nos désidératas. Et tant pis pour ceux qui ne comprennent pas : nous nous passerons d’eux le temps qu'il faudra !
Je voudrais aussi attirer votre attention sur un point dont les médecins ne parlent pas, mais qui est capital : ne cherchez pas à en faire trop, demandez de l’aide. Personne ne vous demande d’être héroïque, ni de vous transformer en martyr parce que vous culpabilisez de ne plus pouvoir faire grand chose, d'en être incapable. La maman d’une amie de Julien a eu une tumeur au cerveau. Après son opération, de retour à la maison, elle a voulu cuisiner. Trop fatiguée et sans force, elle n’a pas pu manœuvrer la casserole à pression comme il convient et a ramassé le couvercle et le liquide brûlant dans la figure. Je vous laisse deviner le désastre dans sa cuisine, sans parler de son séjour de quelques semaines au centre des grands brûlés. Après coup, elle a sûrement regretté de ne pas avoir demandé d’aide, parce qu'elle a sacrément ajouté de soucis à sa famille, la pauvre ! Mais elle n'est pas la seule de qui j'entends dire qu'elle ne veut absolument pas d'aide… un autre ami de mes fils fait le même commentaire, et cela le désole, parce qu'il serait tout heureux de pouvoir manifester sa tendresse à sa maman en pouvant l'aider. En plus, il voit bien qu'elle se fait du tort en en faisant trop, et il aimerait tant qu'elle prenne soin d'elle, et de l'avenir, en se ménageant.
Moi-même, prise de fatigue, j’ai plus d'une fois oublié et laissé brûler une casserole sur le feu (me suis-je endormie ?)… et j’ai complètement laissé fondre la partie ventrale de mon pull en polar en appuyant une casserole dessus parce qu’elle était trop lourde64. Heureusement que je n’étais pas nue en dessous.
Je ne vais pas vous faire une liste d'horreurs, mais il est certain que, dans l’état d’épuisement où nous nous trouvons parfois, rouler en voiture, cuisiner, manipuler du poids ou des objets dangereux (genre monter sur une échelle pour changer une ampoule – savez-vous pourquoi j’ai dû remplacer ou faire remplacer quatre ampoules durant ma chimiothérapie ?) doivent être pratiqués en pleine connaissance de cause. Se faire aider, déléguer et se faire conduire, quand c’est possible. C’est clair, nous avons déjà assez de soucis pour encore risquer de nous blesser (avec les risques d'hémorrhagie par manque de plaquettes, en plus !) ou prendre des responsabilités trop lourdes… Et ajouter des soucis à ceux qui nous aideraient pourtant bien volontiers. Tout simplement pour ne "pas déranger", pour ne pas avoir eu l'humilité de demander ou d'accepter de l'aide. L'héroïsme, parfois, tient presque de la stupidité. Une des premières choses à apprendre : pouvoir accepter de l'aide. Descendre de son piédestal. L'amour, l'affection, c'est donner ET recevoir. Accepter la chaleur de l'entraide.
Si je me base sur l'expérience de Leslie, qui ne sait ni demander, ni recevoir, je peux dire qu'à force de se laisser enfoncer dans la fatigue absolue, c'est à elle que sont arrivées toutes les erreurs médicales, tous les effets secondaires dramatiques : oubli au cours de sa première chimio de lui donner ses remèdes contre les nausées, double cure de radiothérapie le même jour par distraction65, anémie inquiétante, hospitalisation pour infection pulmonaire…
Je me suis donc fait la réflexion que Tania me protége, en quelque sorte, en me stimulant par sa présence et en inter-agissant sur le personnel infirmier ou médical avec moi. Et toute l'aide que je reçois de partout, physique ou morale, m'aide à tenir la tête hors de l'eau.
Grâce à la chaleureuse présence de Tania, et son grand rire généreux qui me relance moi aussi, j'attire certainement plus l'attention des soignants que cette pauvre Leslie, presque éteinte d'épuisement, de tristesse, d'inquiétude et de solitude. Résignée. Et même si j'en suis triste pour elle, je ne peux rien y faire66.
Accepter de l'aide, c'est participer au processus d'échanges de la vie. Cela renouvelle l'énergie et gonfle la bulle de l'aura. Rester en relation stimule et donc protège. Oser demander et savoir accepter de l'aide s'avère capital pour s'assurer un bon parcours. Il semblerait d'ailleurs que le taux de survie, à chances égales, soit plus élevé pour les personnes bien entourées… Nous tenons là peut-être un début d'explication : la vie elle-même n'existe pas sans échange. C'est la propriété première de la moindre des cellules vivantes… Alors que se résigner, c'est accepter l'étouffement de soi.