Mes relations avec "les autres"

Accepter de l'aide, c'est accepter la vie - p.2

L’assistante sociale de l’hôpital67 m'a aidée en me conseillant sur les aides dont je pouvais disposer. Prendre les devant, se renseigner à temps, tenir compte du pire n'est pas un luxe : la fatigue, du cancer et des traitements cumulés, va vous liquider pendant huit à neuf mois68.…
Petra m’avait dit : "tu dois le faire avant la chimiothérapie parce qu’après tu n’en auras plus la force ". Elle avait raison. Malgré l’homéopathie ou les vitamines, la fatigue s’accentue de cure en cure, au point de vous faire croire qu’elle va vous tuer. Et vous serez incapable de rassembler deux documents, faire une lettre, rester longtemps au téléphone, chercher un numéro dans le bottin, d'autant que la plupart du temps, certains chiffres sont devenus illisibles… Et les services d'aide étant surchargés, vous serez envoyée de Ponce à Pilate. Il vaut donc mieux anticiper, en se reconnaissant, dès le début, le droit de se concentrer exclusivement sur sa guérison.
Je n'avais jamais dépendu de services sociaux, comme je n'avais jamais mis les pieds à la mutuelle. J'avais une sorte de fierté, de mépris, de manque de considération pour les gens qui "dépendaient" de ces assistances. Je pensais que je n'en aurais jamais besoin et je me permettais de me sentir supérieure… Mais, comme Petra me l'a finalement gentiment imposé par ses insistances, - au début, je pensais qu’elle exagérait les faits et j'étais un peu vexée, croyant qu'elle me sous-estimait- j'ai appelé de l'aide qui est venue sous l'apparence de personnes très professionnelles, respectueuses et chaleureuses… Et je n'en ai plus éprouvé la moindre honte. Je ne suis pas fière d'avoir eu les préjugés que je viens de confesser, mais j'en parle parce que je crois ne pas être seule à les avoir. C'est tellement reposant d'être "comme tout le monde" et de pouvoir compter sur l'intervention d'autres humains quand tout va si mal.
Elles sont venues une fois ou deux avant la chimio, pour le premier contact. J'étais encore bien. J'en suis reconnaissante à l'assistante sociale qui coordonne le service, car certains jours, elles sont occupées pendant que je dors ou que je cuve mes chimios. Il valait mieux qu'elles soient informées de mes petites habitudes et des endroits où je cache brosses et balais.
L’aide familiale vous écoute quand plus rien ne va, vous encourage, vous aide à avoir confiance en vous pour certaines choses qui paraissent banales mais deviennent difficiles, voire insurmontables. Comme prendre l’air certains jours. Je n’osais plus sortir de peur de manquer de force en rue et ce n'est qu'en étant accompagnée d'une aide familiale que j'ai pu mesurer la limite de mes forces et donc aussi de mes capacités.

Elles peuvent faire vos courses, votre linge. Changer votre lit -qui est devenu trop lourd et qui doit être changé si souvent ! Faire votre repassage puisque vous ne tenez plus debout assez longtemps. Elles vous feront à manger ou même vous encourageront à manger, ce qui est essentiel pour votre survie tout court, quand vous êtes écoeurée.
Elles s’occupent enfin de votre équilibre familial, qui en a tant besoin. Comme elles vont de maison en maison, elles ont une certaine expérience d’autres cas et peuvent, suivant les circonstances, vous donner des petits trucs, vous soutenir, vous aider à relativiser. Elles savent de quoi elles parlent pour le vivre dans leur pratique professionnelle.
J’ai vraiment beaucoup apprécié leur aide. Je suis certaine que je n’aurais pas pu tenir le coup sans elles. Ou, pour le dire autrement, je suis certaine que si j'ai aussi bien réagi, c'est principalement grâce à leurs interventions. Sinon, j'aurais dû m'imposer des corvées au-dessus de mes forces, j'aurais culpabilisé, et mon moral s'en serait ressenti de vivre dans une maison délabrée, sale, malodorante… J'ai donc pu utiliser toute mon énergie à m'occuper de moi, de mes fils, et des choses réellement importantes : mes soins, mon repos, mon alimentation et quelques distractions pour nourrir mon goût pour la vie. Le moral profite mieux d'une sortie de deux heures que de passer l'aspirateur ou de repasser pendant deux heures, non ? D'autant qu'une visite, une rencontre agréable sont moins fatiguantes que de faire le ménage. Et avoir une maison propre, pour soi-même ou les visiteurs, ne fut-ce que le kiné, c'est aussi très important pour le moral !
Le fait qu'elles dédramatisent fut certainement essentiel pour moi, mais aussi, et surtout, pour mes deux jeunes gens de fils qui se retrouvent pour la première fois confrontés à la maladie de leur maman. Et pas n’importe quelle maladie.
Ils ont peu d’aide de leur père, ni de leurs grands-parents. Bref, ils sont assez isolés, et, au début, paniqués, cela se conçoit aisément. Certains de leurs amis leur faisaient des récits catastrophiques, du style "si on a dit à ta mère qu’elle avait le cancer, c’est qu’elle est à l’extrême limite, parce que moi, mon grand-père, on le lui a dit quelques semaines avant sa mort " !
Heureusement, le témoignage des aides-familiales et quelques discussions avec des amis médecins ont contribué à leur redonner confiance dans ma guérison. Ce rôle de tampon régulateur des tensions -sous couvert de faire le ménage- n’est pas à négliger, ni pour calmer mes tensions, ni pour celles de mes fils, ou celles que nous générons entre nous à cause de l'angoisse ou de la tristesse… En effet, avec leurs mots, elles expliquent que je vais guérir et leur attitude positive et optimiste nous aide à tenir bon. Physiquement et moralement.
A mes yeux, elles sont aussi utiles que les soins du kiné ou du médecin, à leur façon.