Fatigue

Fin de la première semaine de "liberté". - p.2

Maintenant, je pense que je vivrai encore au moins quarante ans. C'est ce que je veux croire. De toute façon, je veux partir avec une marge suffisante d'optimisme et de dynamisme. Je verrai bien ce que la vie me réserve pour la suite !
Mais je me sens comme un bébé face à la vie. Je me suis soignée dans un rapport aux autres, les médecins, mes enfants, mes ami(e)s. Et maintenant, mes amis continuent à jouer les supporters. Ils m'encouragent en me proposant des excursions, des occasions de partager du temps ensemble, témoignage affectueux de leur désir de me voir poursuivre la vie avec eux/elles. Et par rapport à ce vécu actuel, je me fais la réflexion qu'un bébé aussi s'épanouit parce qu'il y est encouragé par tout son entourage.
Je suis étonnée d'avoir aussi peu de désirs personnels, tout éberluée encore de ce qui m'est arrivé, tout engourdie de huit mois de parenthèse et d'absence complète d'initiatives. Je suis cependant ouverte à toute opportunité qui se présenterait, dans le souci de reprendre rapidement une vie normale.
Je me surprends d'être si "sage" actuellement, par comparaison avec l'impatience qui me tenaillait durant les dernières chimios et toutes ces dernières semaines. Je suis un peu sonnée, un peu brûlée, un peu mal dans ma peau à cause de la douleur, et le soleil rayonnant me fait peur, ne me convient pas… Je ne suis plus impatiente de rien. Je me laisse vivre, et c'est bien.

J'aurais aimé terminer cette chronique le dernier jour de la radiothérapie, et dire, fini pour moi. Mais je sens bien que c'est loin d'être fini. Quand ma peau hurle de mal, je la tartine de Flammazine ou d'huile essentielle de Millepertuis. Et je dors mal comme quand j'étais petite, en vacances en Espagne, tellement je brûle. Je suis à vif dans le premier pli du cou et sous l'aisselle. J'ai encore de la chance que ce ne soit pas pire, mais c'est déjà pire. Les mouvements de mon bras frottent contre l'épiderme ouvert, tout comme le col du T-shirt que j'ai emprunté à mes fils pour avoir un vêtement en coton bien ample, que je peux allègrement graisser de pommades. Inutile de dire que mon beau soutien tout neuf et la prothèse dorment dans l'armoire.
Il reste la fatigue aussi. De dormir mal ? Des suites de la chimio encore ? Des suites de la radio ? De toute l'aventure ? J'espère que ce n'est pas de l'hormonothérapie, parce que celle-là, je dois la supporter encore cinq ans ! Heureusement, je supporte assez bien mes bouffées de chaleur. Tout à coup, une impression bizarre dans mon corps, qui monte à la tête, puis s'arrête. L'ennui, c'est que je ne sais pas quand elles vont arriver et que je me sens tout à coup prise d'un coup de pompe, d'un malaise ; puis ça passe. Mais bon, à côté de la chimio et de la radiothérapie, je ne voudrais pas me plaindre.
Je ne sais donc pas quand je terminerai d'écrire mes aventures de chimioke et radioke. J'aimerais que ce soit immédiat : plus rien à raconter. La vie reprend son cours. Les gens heureux n'ont pas d'histoire.
Mais je suis encore en cours de soins : maintenant ce sont les brûlures que je soigne. Et ma tristesse. Et mon manque d'énergie.
Et je ne suis pas encore dispensée de tous les effets secondaires consécutifs à la chimiothérapie.


Je retourne pourtant à l'Académie, où j'achève les portraits sculptés de mes amies, lien qui m'a permis d'avoir une petite vie sociale, quand j'avais l'énergie d'y aller ; lien qui m'a aussi permis de me réapprivoiser avec la vie, la vieillesse, la "survie". Un des portraits représente notre doyenne, une petite merveille de la nature, quatre-vingt printemps, toute mignonne et encore toute dynamique et optimiste, malgré une vie lourde de deuils et de périodes difficiles.
L'autre est un essai sur la générosité et a pour modèle mon amie Tania, également adepte de la céramique. Mais la ressemblance est nulle : au fil du travail, j'en ai fait une allégorie à la jeunesse et à la bonne santé. Sans le vouloir. Ma sculpture a des joues comme des pommes, une bouche charnue, une mine resplendissante. Quelqu'un m'a fait remarquer que ces deux pièces me ressemblaient. Forcément ! C'est ma vie que j'ai joué en prenant ces thèmes et en m'y accrochant. "La Santé", d'une part, et "la Vieillesse Epanouie", d'autre part.