Chimiothérapie

Premier jour. Première cure. - p.2

Ma nourriture est préparée par les aides familiales. Je me suis même permis quelques caprices alimentaires. Faim, j’ai faim. Même trop. Supplice oriental où nausée et faim se combattent en moi18… Je prends deux kilos en trois jours, tout en ayant des nausées abominables !

Je reparlerai plus loin de l'importance de connaître les rythmes de notre énergie, pour pouvoir la gérer au mieux. C'est durant cette première cure que j'en ai pris connaissance.
En effet, après la première vague d’effets secondaires, je passe trois jours de vie normale ou presque. Energie en suffisance pour faire quelques courses, de l’administration (banques, poste, mutuelle). Pas pour vivre vraiment normalement, mais presque. Je suis déjà tout heureuse, croyant que tout ira bien, que je fais partie de ces personnes qui s'en sortent les doigts dans le nez !
Et puis la période immuno-dépressive… ou "que reste-t-il de moi sans les piles " ?
Premières sensations de malaise : la barre au front, un sentiment de "gueule de bois " légère. Puis qui s’étend. Je reparlerai de cette sorte d’engourdissement qui commence aux tempes et descend tout le long du corps, que j'avais déjà pressentie lors de l'injection du FEC. Difficulté à rester debout, sentiment clair de perte d’énergie, de fatigue intense. Difficulté à rester assise. Je me couche. Et même les pensées s’appauvrissent. Si je ne dors pas, je reste couchée, flottant dans un lit qui me paraît incliné, les pieds surélevés. L’idée m’obsède, dans mes rêves, d’une pente à monter et cette idée seule me fatigue très intensément. Remonter la pente, je le fais physiquement autant que psychiquement, alors que je suis allongée, plate comme un étang, sur mon lit. J’essaie de me raisonner que ce lit est plat, au milieu de ma chambre et ma chambre dans ma maison. Hors cet effort de rationalisation, mes pieds reprennent le dessus et la route escarpée sillonne de nouveau, à ma grande fatigue.
Ces sensations et cet affaiblissement complet dureront environ trente heures, à la fin desquelles j’ai le sentiment que la crise est passée. A vrai dire, je suis restée affaiblie encore pendant deux jours supplémentaires, mais ce sentiment de vide total d’énergie était passé et j'ai pu me lever, téléphoner, faire quelques courses de courte durée sans trop de problèmes.
Durant cette période d'immuno-déficience, qui se répète de cure en cure, j’ai fréquemment fait des rêves où l’idée même de mouvement provoquait une fatigue incoercible. Qui pourrait imaginer de se fatiguer à ce point, seulement en rêvant ? Ne demandez pas comme il reste peu d’énergie en nous…
Maintenant, je suis heureuse de profiter des quelques huit jours qui me restent de bonne santé et bonne énergie pour rendre visite à mes meilleurs amis, ma marraine, faire quelques sorties culturelles et amusantes, parce que la prochaine cure approche !

Je constate, lors de cette première cure, que, sur vingt et un jours, je peux tirer à profit quelques trois ou quatre jours avant cette phase immuno-dépressive et une bonne semaine après. Mais, au fil des cures, ces plages de relatif bonheur rétrécissent comme peau de chagrin. Ne comptez plus trop sur les trois ou quatre jours intermédiaires, et la semaine finale devient une "petite " semaine finale. J'essaie néanmoins de profiter de la vie quand l’occasion se présente, pour ne pas avoir l’impression de vivre avec la tête dans un entonnoir.

Mes ami(e)s les plus précieux/ses avaient noté mon rythme et me téléphonaient gentiment pendant les périodes blanches (pour faire contraste avec les périodes noires) : une courte promenade dans la neige, un film l’après-midi, une tasse de thé, un moment à l'Académie où je me suis réinscrite au cours de céramique pour avoir une occupation les jours où je me sens bien.
La vie continue par ailleurs, et toute perturbation, comme le fait de devoir s’habituer à la perte des cheveux, les règles qui réapparaissent encore une fois ou deux, une mauvaise nouvelle, des soucis financiers… font que je n’ai pas toujours pu profiter de cette période à laquelle j’aspirais presque comme à des vacances, par manque de résistance.
J’ai aussi du mal à me situer dans le temps. Celui passé à l’hôpital, dans mon lit … Un tout petit peu dormir et c’est Noël, et encore un petit peu dormir et voilà la Saint Valentin ! Je me réveillerai quand les arbres seront en fleur…


Petra m’avait prévenue que la mémoire à court terme serait endommagée sérieusement.
Heureusement que j'en étais avertie pour ne pas désespérer de cet état, sinon je me serais crue atteinte d’Alzheimer19. L’employé de la banque, par exemple, lorsqu’il me voit, se doute déja que j’ai oublié ma carte dans la machine. Car, quand mon tour arrive, je suis en panne d'énergie, et j'oublie de reprendre ma carte à la fin de mes transactions au distributeur de billets… Je suis donc à son guichet tous les deux ou trois jours pour la même raison ! J'en pleurerais de rage, de consternation, d'inquiétude pour ma carte et ma tête, d'impuissance, et de fatigue de devoir sans cesse y retourner.
A défaut de pouvoir contourner ces problèmes, je dois m'en faire une raison. Si je n'avais pas été prévenue, je me serais inquiétée, pensant devenir folle ou démente. Mais c’est normal. D’abord à cause des anesthésiants et des deux opérations… puis à cause de la fatigue due à la chimio. Il paraît que tout reviendra dans l’ordre après. Du moins, je l’espère. Pour me rassurer, je me rappelle que Petra a l’air d’avoir à nouveau toute sa tête à elle et aussi sur le fait que mes fonctions "mentales" fluctuent : j’arrive à écrire ce livre, alors que, d'autres fois, je dis des âneries comme un vieil ivrogne ou pire encore, je ne suis plus capable de penser à rien. Ça va, ça vient. Je ne peux que l’accepter. L'essentiel, c'est que l’entourage ne nous ennuie pas avec ça.
Bien sûr, le sachant, il devient possible de s’organiser en conséquence : avoir une connexion bancaire par téléphone ou par internet permet d’éviter ces courses fatiguantes, déléguer, se faire aider dans le ménage… Faire des listes d’achat permet aussi de mieux gérer le stockage de nourriture. Maintenant (depuis la troisième cure), je me fais accompagner pour faire mes provisions. Cela me permet de choisir moi-même ce qui me convient, mais je ne me fatigue pas à pousser la charrette, à faire la file… Ce sont de tous petits aménagements de la vie, mais tellement importants, parce que sinon la vie devient tout simplement impossible.