Le temps passe… la vie continue

Fin novembre. - p.2

J'aimerais aussi ne plus entendre les sempiternels "Oh ! Comme ils repoussent bien !". Est-ce que je m'extasie, moi, devant la pousse des cheveux de tous mes amis ? A chaque fois, cela me rappelle, avec un pincement au cœur, la chimio, la maladie, alors que je voudrais pouvoir regarder de l'avant. Je l'ai dit à quelques personnes, et apparemment cela a déjà fait le tour du monde : personne ne le dit plus ou alors avec des circonvolutions.

Comme je stresse toujours par rapport aux échéances de reprise du travail, j'ai platement demandé à ma sénologue, lors de ma visite en septembre, pendant combien de temps elle estimait que je pourrais encore être handicapée des suites de ma chimio. D'après ce médecin, il se pourrait que ma désintoxication se prolonge encore une année ou deux... mais pas dix ! Cela me rassure autant que cela m'effraie. En effet, sachant cela je comprends mieux pourquoi Petra ne s'en sort toujours pas en ne travaillant que deux jours/semaine alors qu'elle a un an d'ancienneté de plus que moi dans cette galère. Cela me donne une mesure plus précise de la dose de patience que je dois encore prévoir. Et grâce à cette information, j'angoisse nettement moins, et pour Petra, et pour moi.

Je suis en net progrès sur le plan de mon état général, même si les détails coïncent encore de partout.
Maintenant, quand je cherche des repères, je ne me compare plus au pire, mais au monde des "vivants", par rapport auquel je patauge encore. Heureusement beaucoup de mes amis comprennent et m'encouragent en m'invitant à les accompagner en ballade ou à des activités stimulantes. Et j'ai constaté avec quelle sollicitude pour moi ils font demi-tour, comme si de rien n'était, quand j'exprime que j'ai froid ou si je demande l'heure qu'il est, m'aidant alors, avec la plus grande délicatesse, à porter mon sac ou se privant pour moi d'une écharpe ou un pull. Pourtant, vous me connaissez maintenant, j'essaie de parer à toutes les circonstances pour ne pas peser.
Cette sollicitude m'encourage vivement et me permet, effectivement, de renouer avec la vie "saine".
Je constate aussi que certains éléments me distraient de ma fatigue et me nourrissent d'énergie, comme l'amitié, mais aussi la beauté d'un paysage, d'une ville médiévale, de tableaux de grands maîtres. Dans ce type d'environnement "positif", je peux profiter plus longtemps, comme si je bénéficiais d'un bonus d'énergie.
Tout en écrivant ces phrases, je pense que, effectivement, dans ces cas-là, une sorte de bien-être méditatif ou communicatif permet à mon inconscient de se laisser aller "piano".
Et "chi va piano, va sano" !

Je suis heureuse de terminer enfin la narration de cette tranche de vie. Comme vous l'aurez compris, je suis en bonne voie de guérison, mais cela prendra encore du temps avant que je n'aie vraiment complètement récupéré mes capacités physiques, intellectuelles et ma résistance au stress. Maintenant que je sais que c'est normal, je me sens capable de plus de patience.
Je pense que je m'en sors à bon compte.
Peut-être qu'un jour, je m'habituerai aux grands écarts, ou que j'arriverai "comme avant" à ne plus avoir cette impression de paradoxe face à la vie.
Et puis… un de mes amis du club de voile divorce. Un homme qui me plaît depuis plusieurs années mais que j'écartais de mes idées parce qu'il était marié. J'ai l'impression de ne pas lui déplaire, et je me réjouis tout en espérant. Mais mon corps et les inquiétudes sur ma vie à long terme assombrissent ma joie : je me sens mal par rapport à ce que je peux lui offrir. A la manière de le dire, de le partager, de le faire accepter. La vie est tellement plus simple pour ceux qui ont la santé et toutes leurs espérances.
Je pense que je lui donnerai mon manuscrit à lire, pour qu'il sache ce que j'ai traversé. Si ce n'est pas lui, parce que ma maladie l'effraie ou qu'il ne me trouve pas à son goût, ce sera peut-être un autre… mais le problème restera le même. Je dois accepter ce qui m'est arrivé et dépasser l'aspect limitateur de cette tranche de vie en partageant mes richesses et mes tristesses avec celui qui me plaira et choisira de vivre avec moi. Cela me paraît un gouffre à franchir. Mais l'amour fait des miracles, paraît-il. Et j'ai envie de croire aux miracles.