Fatigue

Temps d'énergie. - p.2

Pendant les quatre jours infectes, mon temps d’énergie équivaut à dix minutes ou un quart d'heure toutes les quatre heures, ce qui veut dire couchée, au lit, quasiment tout le temps.
Les trois jours "mieux" : une ou deux heures de "vie" égale une ou deux heures de sieste39, ce qui procure une impression de liberté, évidemment, par rapport aux autres périodes.
Pendant les jours d’immuno-déficience, le temps d’énergie se compte par demi-heures entre des plages de sommeil de trois ou quatre heures. Durant ces périodes, je suis écroulée. Prendre un bain ou une douche peut paraître la mer à boire. Et au lit, grosses chaussettes et bonnet de star américaine pour combattre la sensation de froid : je suis devenue un lézard !
Ensuite, dans la meilleure période, je peux résister pendant dix à douze heures, à aménager en fonction des activités, avec énergie fluctuante, et siestes courtes. Je peux sortir, conduire, aller voir un film en journée, manger avec un copain, avoir quelques activités calmes. Mais pas tout le même jour : une activité, voire deux petites, par jour, et toujours à condition de pouvoir annuler à la dernière minute. C'est un leitmotiv. Parce que, subitement, l'énergie flanche, ou parce que je me suis transformée en fontaine, ou ce genre de mauvaise surprise. Les amis, les vrais, acceptent plusieurs reports d’activité sans sourciller. Parce que, pas de chance, ça tombe toujours sur les mêmes : ceux qu'on aime voir plus souvent ou ceux qui ont des obligations (travail, famille) qui leur imposent des rendez-vous mal placés par rapport à votre rythme de vie.
Au fur et à mesure que les cures passent, les périodes "fastes" diminuent, sous l'effet de différents facteurs interactifs : intoxication progressive, diminution du potentiel de résistance, augmentation de l'épuisement.
Le dernier jour avant les cures, -pour moi, un mercredi-, le programme est connu d'avance : je dois approvisionner la maison pour trois personnes pendant quatre jours, dont moi-même qui ne suis pas le moindre problème puisque je dois anticiper sur mon dégoût et mes plaisirs de manger ! Mes fils sont voraces et par bonheur peuvent cuisiner eux-mêmes, à condition que les victuailles les inspirent. Sans quoi, le jour où je serai capable de visiter le frigo de façon "intelligente ", je pourrai jeter les aliments périssables qu’ils auront dédaigné pour se jeter sur un plat surgelé. A l'inverse, si je mise tout sur des plats à réchauffer, ils diront, à juste titre, "qu’il n’y a rien à manger dans le frigo"…
Voilà comment la vie continue pendant que je vis entre parenthèses.

Vu la quasi-répétition des rythmes de cure en cure, j'ai pu m'appuyer sur l'expérience acquise d'une fois à l'autre pour ne pas en faire trop pour la fatigue, pour pouvoir en faire tout de même assez pour garder le moral, et, surtout, pour arriver à la fin de la chimio sans trop de casse. Je l'ai considéré comme un élément essentiel pour ne pas me sentir trop prise au dépourvu ; pour pouvoir aussi, ne fût-ce qu'un peu, anticiper sur mes limites…