Fatigue

Temps d'énergie. - p.1

L’expression "temps d’énergie" me tient particulièrement à cœur, car elle me semble être à ma vie de chimioke ce que la vitesse est au rapport espace-temps.
Notion qui mérite d’être étudiée, elle aussi. Par la médecine peut-être, mais certainement par et pour soi-même, comme "indicateur de survie ".
Dans un an, la vie aura repris son cours.
Mais, en attendant, il y a cette parenthèse à traverser et personne n’a jamais appris à traverser sa vie entre parenthèses. D’autant que, par moment, elle ressemble à un océan de nausées, de mal-être, de fatigue insoutenable et d’angoisse "d’y arriver ".
Y arriver jusqu’au bout de la thérapie, avec le moins d’effets secondaires possible, dans les délais, sans séquelles. Y arriver face à la fatigue. Y arriver sans trop de casse pour l’entourage.
Y arriver par rapport à la vie des autres qui continue : les sessions d’examens des enfants, la Noël, le Nouvel-An, mon anniversaire, la peur et la tristesse des autres, les amis qui perdent un proche ou se soupçonnent eux-mêmes atteints. Y arriver financièrement. Y arriver d’aller jusqu’à la banque, d’aller jusque chez le médecin ou la kiné et surtout d’en revenir avec la fatigue, sans faire d’accident, sans tomber en route, sans en avoir fait trop et le payer ensuite. Y arriver de supporter l’ennui, la solitude, la rage de ne pouvoir rien faire, d’avoir une tête comme une passoire, de ne pas pouvoir se concentrer. Y arriver de ne pouvoir penser qu’à une seule chose à la fois, ce qui oblige à faire trois trajets pour rassembler autour de son lit un bassin pour vomir, les médocs pour ne pas vomir et l’eau pour pouvoir prendre lesdits médicaments, alors que rien ne va.

Le temps d’énergie colle de façon intrinsèque au déroulement de la chimio. Pour mes vingt et un jours d'intervalle, j'avais fait l'estimation approximative de quatre jours infectes, trois jours mieux, quatre jours immuno-déficiente, neuf à dix jours d’amélioration et de vie sociale, vous vous en souvenez.
Pour ne pas exagérer avec ma fatigue et ne pas me jeter bêtement dans la gueule du loup, avec risque de cardio-toxicité, j'apprendrai la patience et de savoir reporter aux calendes grecques tout ce qui peut l’être : dire (à bon escient) "on s’en fout ! " par rapport à tout ce qui ne revêt aucun caractère d’urgence ou de réelle importance, et déléguer tout ce qui peut l’être. Etrange cure de personnalité, où prévaut très exactement le contraire de notre éducation !
J’ai donc organisé mon agenda en fonction des mes périodes de mal-être, barrant carrément ces jours-là dès la première cure, pour être sûre de n’avoir aucun déplacement à faire ni aucune visite importune. Je ne me sens indispensable pour personne, puisque j'aurais aussi bien pu être morte !