Clap !

Les examens se sont donc succédés au niveau de ce bras pendant plusieurs semaines pour finir par un non-lieu. Par la scintigraphie du tout premier jour, l’inquiétude concernant un développement du cancer était déjà éliminée. La veille de l’ablation complète du sein et surtout des ganglions, le soupçon lié à une pathologie ganglionnaire était écarté également vu qu'il apparaissait que la souffrance était d'ordre neurologique. L’inquiétude d’un pincement vertébral, maladie dont avait souffert ma sœur et qui suppose une opération très délicate au niveau de la moëlle épinière, ne tint plus non plus après des examens en neurochirurgie, le 5 novembre, quelques jours avant la chimio. Heureusement, puisqu’il était encore question d’opération… à la colonne, cette fois...
Mon kiné a finalement diagnostiqué un rétrécissement des scalènes (les axes nerveux des membres supérieurs, reliés à la moëlle épinière, sont coïncés au niveau d'un canal de muscles appelés scalènes), et me soigne pour cela… Les douleurs ont fini par s’estomper en quelques mois de soins intensifs. Aucun médecin n'avait fait le diagnostic de cette souffrance. Heureusement, le hasard avait mis sur ma route ce kiné qui avait fait un mémoire sur le sujet.
Vous allez croire que je me déglingue complètement et vous aurez raison : je passe de soins en soins et j'ai l'impression que mon corps se décompose.
Le kiné espère faire de moi une nouvelle femme, "remodelée " comme il dit. Son souci de ma beauté, alors que je suis démontée pour moitié, me fait un peu tourner la tête. Ces soins, tantôt opérés par une femme, tantôt par un homme (j’ai deux kinés pour faire face à leurs congés), me font découvrir les plaisirs d’être "prise en main" avec considération, respect, gentillesse. L’amour du soigneur pour sa patiente, le désir d’avenir qu’il/elle a sur moi sont de véritables ressorts dans ma nouvelle existence.
Je traverse une période de toutes nouvelles sensations. Jamais de ma vie, dans aucune de mes relations antérieures, ni avec mes parents, ni avec mon ex-mari, je n’ai expérimenté cette profondeur du désir de vie sur moi, sur mon physique, sur mon bien-être sans souffrance, sur mon maintien.



Me voilà maintenant admise, malgré moi, dans le grand club des cancéreuses du sein. Il paraît même qu'il s'appelle "Vivre comme avant ". Rien à voir avec une série d’aventures piccaresques. La "vieille dame bien rangée" qui est venue me présenter l'association m’explique que, vivre-comme-avant, ce sera, désormais, de porter une carte de cancéreuse avec ma carte d’identité, prendre garde de ne pas me blesser au bras gauche et, le cas échéant, bien me désinfecter ou courir à l’hôpital si j’ai le moindre bobo au bras gauche, ne plus prendre ma température sous le bras gauche (quand est-ce que j’ai pris ma température la dernière fois ? ? ? ) ou ne plus me faire prendre la tension ou piquer au bras gauche (sein gauche = bras gauche, à cause de l’ablation des ganglions ) ; me promener avec une prothèse de sein dans mon soutien (prothèse ? soutien ? je n’ai jamais porté de soutien, moi ! ) et que ma perruque me serait remboursée (mais quel casse-pied avec tous ses postiches ! )… Dans sa générosité, elle m'offre la carte de cancéreuse et de la mousse de tissus pour remplir la poche de mon soutien-gorge.
Je crois que je l’ai choquée quand je lui ai parlé de mon intention de porter des tattoo effaçables sur le crâne. Pourtant, je le pensais vraiment et je l’ai vraiment fait ! Je ne cherchais pas du tout à la provoquer, je cherchais des solutions plus marrantes qu'une perruque ou l'angoisse de changer de look!
Suite à la visite de cette dame sans imagination ni fantaisie, mon univers bascule : tout me dégoûte et me dépasse à la fois : vivre comme avant ! ! ! ? ? ? Je ne veux pas vivre "comme" avant. Je me sens tellement parfaitement vivante, avec juste ce sein en moins… pourquoi parler de "comme avant " ? Me voici menacée de faire partie d’un club de bobonnes alors que je comptais bien continuer à faire de la voile, à danser, à bouger, non pas "comme avant " mais comme d’habitude, pardi, comme toujours !
Comme toujours… Les grands mots : jamais/toujours. Le souffle de vie. Il est interdit d’interdire. Il ne faut jamais dire jamais. Toujours n’a aucun sens…
Et me voilà, d’un bloc, projetée en grand écart, comme un pont californien entre le désir d’en finir et le besoin de vivre, l’humour et la tristesse, la haine et l’amour.
Jamais encore, je n'avais senti un tel besoin de protection. Protection contre la maladie, contre la souffrance, contre la peur du vide et de l’inconnu, contre la tristesse des autres, leur bêtise ou leur indiscrétion. Besoin d’affection pour ramener ce qui m’attire vers la mort sur le bord du désir de vivre. Besoin d’affection et d’humour, d’amour pour relever le niveau de tristesse de mes proches à la légèreté indispensable pour supporter, pour rester moi, pour conserver mon intégrité. Besoin d’intégrité et de légèreté que je ressens toujours et plus encore aujourd’hui.

Déjà en préparant ma valise, le choix de l'humour était fait. Mon pyjama7, tout neuf, est volontairement comique ; la pancarte "Place m’as-tu vu" pendue au perroquet du lit donne un nom à ma situation ; les fleurs… tout témoigne de mon désir de vivre et de rire. Ils donnent le ton à mes visiteurs, et heureusement le message passe. J’ai tellement horreur des larmoiements, des histoires sinistres et de la commisération. Je me sens étouffer dès que quiconque me regarde ou me parle comme s’il était l'heure de me donner l’extrême onction. J'ai déjà assez à faire avec mes propres angoisses.

Pour moi, il est clair que je ne suis pas là pour mourir mais pour vivre, pour être malade mais guérie, pour être un fardeau triste mais une source d’espérance.
A bon entendeur, salut !